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L'épingleur
23 avril 2016

Liberté et déterminisme

Le déterminisme, sous sa forme mécaniste et intellectualiste, nous a paru exprimer, en dernière analyse, un ordre de choses dans le temps; or, l'introduction du temps ne semble plus un élément aussi essentiel quand on se place, comme nous le faisons maintenant, au point de vue de la causalité efficiente et vraiment active. Lorsque j'attribue un fait à l'action d'une cause, cette attribution est primitivement indépendante de toute considération de temps: il n'y a pas encore d'avant ni d'après, de succession ni de simultanéité; il y a simplement, pour parler comme Malebranche, l'agent et l'agi, le voulant et le voulu, la cause indépendante et l'effet dépendant. L'enfant place derrière tout ce qu'il voit une volonté, d'abord prochaine et immédiate, puis plus ou moins lointaine. La feuille que le vent pousse est pour lui animée. Puis il s'aperçoit que la cause n'est pas là, mais dans le vent; il conçoit alors le vent comme un être animé. Plus tard, il reculera encore la cause agissante, mais, ce qu'il placera toujours comme à l'extrémité de cette perspective de plus en plus lointaine, ce sera quelque volonté. A l'origine, il semble que le temps n'existe pas encore pour lui: il n'en a qu'un sentiment vague et il en confond presque toutes les parties. Avenir, passé, présent, sont trois points de vue qui s'entremêlent dans sa pensée et qu'il prend assez souvent l'un pour l'autre. Même confusion des temps chez les peuples primitifs: les événements, pour eux, se raccourcissent ou s'allongent, se concentrent ou se répandent, passent de l'avenir même au présent et du présent au passé, ou suivent l'ordre inverse, comme si tout procédait de causes supérieures à l'histoire et au temps. C'est que le temps est un ordre de déterminations et de conditions; il exprime moins l'activité ou la liberté idéale de la cause que les conditions réellement subies par elle et les nécessités qui lui viennent du dehors. Le premier élan de la volonté ne semble point connaître le temps: l'expérience seule nous apprend à compter avec cette série de moyens et d'intermédiaires qui sépare le vouloir initial de l'effet final. Alors seulement se développe et s'organise l'idée de succession. Comme le dit Kant, «la succession des effets tient seulement à ce que la cause ne peut opérer en un clin d'œil son effet tout entier.» La succession a donc son origine non dans la vraie et positive puissance de la cause, mais dans son impuissance ou dans les résistances qu'elle rencontre; non dans ce qui la fait vraiment cause, mais dans ce qui lui fait subir la limitation des autres causes, dans ce qui la rend effet par rapport à elles: elle n'exprime pas la liberté, mais la nécessité. En un mot, la succession est certainement la loi des effets, mais elle n'est peut-être pas la loi d'une cause digne de ce nom.

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